Depuis plusieurs années en Suisse et en Europe, une partie importante des débats sur la migration tourne autour de la question de l’attractivité des pays d’accueil. Alors que, d’un côté, des mesures sont mises en place pour attirer la main-d’œuvre la plus qualifiée, d’autres mesures liées au droit d’asile visent à décourager les personnes en fuite de venir déposer leur demande d’asile dans les pays concernés.
Par exemple, en 2008 en Suisse, l’aide minimale accordée aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s a été réduite à une « aide d’urgence » qui couvre à peine les besoins de base des bénéficiaires. L’un des buts de cette mesure était d’encourager le départ volontaire des requérant-e-s déboutés en péjorant leurs conditions de vie en Suisse. Cet effet dissuasif est cependant remis en question par la recherche.
Contrairement à ce que semblent penser beaucoup de politiques, les raisons qui poussent les personnes à fuir et à se réfugier dans un pays donné sont multiples, complexes, et souvent sans grand lien avec le type de prestations sociales qu’offrent les pays de destination.
Une étude du Forum suisse pour l’étude des migrations[1] montre par exemple que les trois raisons principales pour lesquelles les personnes interviewées ont déposé leur demande d’asile en Suisse sont la facilité d’y accéder à une procédure d’asile et, le cas échéant, d’y obtenir un statut légal, le fait qu’il s’agisse d’un état de droit, ainsi que la présence de membres de la famille ou d’amis dans le pays. L’étude révèle également que les personnes qui demandent l’asile en Suisse ont en majorité une connaissance très limitée des différents systèmes d’asile européens et que, dans 20% des cas, la Suisse n’était pas leur premier choix de destination. Ces chercheurs ont constaté dans une étude plus récente qu’une majorité des personnes vise à trouver protection en Europe, sans viser un pays particulier (sauf si des membres de famille s’y trouvent) en fonction des conditions d’accueil.
S’il est vrai que de nos jours, l’information circule plus rapidement grâce aux téléphones portables et aux réseaux sociaux, les études plus récentes continuent d’indiquer que, dans de nombreux cas, les réfugiés atteignent leur pays de destination plus par hasard que par choix. La nature des motifs – des situations d’oppression politique, des conflits ou encore des violations des droits de l’homme – qui poussent les personnes en quête de protection à fuir leur pays d’origine constitue notamment un facteur limitant la capacité de ces dernières à connaître toutes les alternatives et à les soupeser de manière rationnelle.
Les individus qui viennent en Suisse à la recherche de protection ne se trouvent donc souvent pas dans une situation qui leur permette d’évaluer précisément l’offre de chaque pays européen et de choisir leur destination en fonction. D’autres facteurs influencent leur parcours, tels que l’état de leurs connaissances, leur situation financière, l’aide apportée par des proches, les réseaux de passeurs, etc.
Enfin, on oublie souvent que l’Europe n’est pas la première destination pour une large majorité des réfugié-e-s. Au contraire, le pays qui accueille le plus de réfugiés proportionnellement à sa population nationale est le Liban, avec une moyenne de 232 réfugié-e-s pour 1000 habitants en 2014. En termes de valeur absolue, la Turquie et le Pakistan sont actuellement les deux pays qui accueillent le plus de réfugié-e-s. Pourtant, tant les conditions d’accueil que les opportunités économiques dans ces trois pays sont loin d’être idéales, ce qui montre bien que l’attractivité économique n’est pas la seule donnée en jeu ; car lorsque des personnes sont menacées, elles n’ont pas seulement besoin de fuir, il leur faut aussi un endroit où on les laisse se réfugier.
[1] Efionayi-Mäder, Denise ; Chimienti, Milena ; Dahinden, Janine ; Piguet, Etienne (2001). Asyldestination Europa : Materialienband zur Studie ‘Determinanten der Verteilung von Asylgesuchen in Europa’. Neuchâtel: SFM.
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